Contes de fées pour grandes personnes

Samuel Francis

Un jour où j'étais immobilisé par une tempête sur la côte Est, je fus réduit, pour une fois, au sort ignominieux de regarder la télévision, l'une des plus sinistres inventions de l'esprit moderne, située quelque part entre la chambre à gaz et le système métrique sur l'échelle du mal. Encore pire, je regardai un programme pour enfants, ce qui semble-t-il, n'est pas si différent de la télévision pour grandes personnes. 

L'émission que je regardais (intitulée «Le Palais du mystère», je crois) racontait une histoire avec plusieurs poupées, représentant des enfants lisant un conte de fées. Les enfants-poupées étaient de tous les types raciaux différents: un petit garçon et une petite fille blancs, un petit garçon noir, une petite fille asiatique et une petite fille hispanique, et un petit garçon que je croyais être asiatique mais qui se révéla être un petit Indien apache. 

L'histoire qu'ils commencèrent à lire était le conte européen traditionnel de la Belle au Bois dormant, illustré avec ce qui semblait être des images de l'époque victorienne. Les enfants-poupées voulaient lire l'histoire et ensuite la jouer eux-mêmes. Dans l'histoire, la Belle au Bois dormant est décrite comme une belle princesse avec des cheveux blonds, une peau d'une blancheur de lait et des yeux bleus. De même, le Prince Charmant était décrit comme «beau», avec les mêmes traits physiques. 

Sleeping Beauty (Maxfield Parrish)

Les enfants-poupées aiment l'histoire et se réjouissent de la mettre en scène. Il y a juste un petit problème. Ils réalisent tous rapidement que la plupart d'entre eux ne ressemblent pas à la Belle au Bois dormant ou au Prince charmant. Seules les deux poupées blanches peuvent jouer un rôle dans l'histoire, et les autres trottinent sur la scène, déprimés et se sentant inutiles. 

Alors l'une d'entre elles découvre quelques exemplaires de ce que les grandes personnes appellent ces jours-ci des contes de fées «alternatifs», et elle commence à lire ces contes à ses amis. L'une de ces histoires est une version chinoise de Cendrillon, avec un poisson magique remplaçant la bonne fée. Une autre histoire est celle d'un héros populaire apache appelé «l'Homme-Aigle», et les autres sont censées être des contes populaires africains etlatino-américains, bien qu'elles sonnent artificielles, comme si elles venaient juste de sortir du logiciel d'un ordinateur. 

Les enfants-poupées sont tous heureux, et le reste de l'histoire est une répétition plutôt assommante de la morale que les grandes personnes qui ont écrit la pièce veulent faire ingurgiter aux jeunes téléspectateurs américains. 

La morale numéro 1, bien sûr, est qu'il existe différentes sortes de beauté. Vous n'avez pas besoin de ressembler à la Belle au Bois dormant ou au Prince Charmant, d'avoir une peau d'une blancheur de lait, des yeux bleus ou des cheveux blonds, pour être beau. La morale N° 2, tout aussi évidente, est que nous -- c'est-à-dire, les poupées, les enfants et les grandes personnes -- ne devons pas imposer nos normes de beauté aux autres. Après avoir rabâché cette homélie pendant plusieurs minutes, les poupées retournent dans leurs boîtes, et ce qui reste dans les esprits des jeunes américains est juste ce qu'on vient de leur faire ingurgiter. 

Bien sûr la morale des poupées contient d'importantes vérités: il existe différentes normes de beauté, et aussi de bien et de mal, et il est important que les gens les connaissent et comprennent les différences. Mais bien sûr, toute cette astucieuse petite séance de lavage de cerveau multiculturel laisse de coté quelques vérités qui sont tout aussi importantes. Peut-être plus importantes. 

La vérité non-dite numéro 1, c'est que c'est précisément parce qu'il existe différentes conceptions de la beauté, de la vérité et du bien, et des peuples différents qui ne se ressemblent pas et ne pensent pas de la même manière, qu'il existe des cultures différentes et des pays et des nations différents où ces peuples et ces cultures peuvent s'épanouir. Lorsque ces peuples différents possèdent des pays différents, leurs cultures peuvent se développer (ou ne pas se développer) de la manière dont leurs peuples le souhaitent. [Image: Anna Kournikova.]

La vérité non-dite numéro 2, c'est qu'aujourd'hui aux Etats-Unis, notre peuple est de plus en plus dans l'impossibilité de conserver sa culture traditionnelle, l'un des éléments de celle-ci étant une conception de la beauté qui décrit de beaux princes et de belles princesses dans les termes précis de l'histoire d'origine. Il est de plus en plus impossible de préserver notre culture parce que l'immigration de masse apporte dans le pays différents peuples de différentes cultures, qui insistent (et qui ne peuvent pas être blâmés pour cela) pour conserver leurs propres normes culturelles. 

La vérité non-dite numéro, c'est le dilemme que presque personne aux Etats-Unis aujourd'hui, ni à gauche ni à droite, ne veut regarder en face. Etant donné l'émergence d'une société multiraciale et multiculturelle dans ce pays, nous avons le choix entre deux solutions: 

Soit nous insistons pour préserver nos règles traditionnelles et nos normes culturelles, et par conséquent nous excluons les gens des autres cultures, qui ne partagent pas nos normes et souvent ne veulent pas les partager, soit nous abandonnons, nous diluons, nous dégradons ou nous modifions nos normes traditionnelles pour pouvoir intégrer tous ces peuples. C'est ce que font les poupées dans le programme de télévision: la Belle au Bois dormant et le Prince Charmant doivent laisser la place à l'Homme-Aigle. 

Et c'est ce à quoi conduit le conte de fées du multiracialisme et du multiculturalisme. Si nous voulons vraiment préserver notre culture traditionnelle, peut-être devons-nous stopper complètement l'immigration, et laisser les différents peuples enseigner leurs propres contes de fées dans leurs propres pays.


 

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